- Maison d'édition: Les herbes rouges
Une traduction d’Alain Bernard Marchand
Après de grandes pertes, la mémoire menace de disparaître. Le langage se fractionne. La page blanche se confond aux draps du lit, « la mer inonde notre regard ». Que faire pour résister à l’aphasie qui s’installe, sinon un poème?
« Écrire, c’est interroger la relation compliquée entre un grand événement historique et un événement plus intime, national; entre un deuil personnel et un deuil historique; entre notre façon individuelle de nous imprégner de l’histoire et notre façon collective de la commémorer. »
Avec sobriété, marquée par une dévotion pour la vie et pour la mort, l’écriture d’Anne Michaels se risque ici à la limite du connaissable. Elle contemple « le moment où le désir / devient par force / le deuil ».
Tout ce que nous avons vu est une main tendue, un geste d’audace et d’amour pour ressaisir la mémoire.
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Auteure
Née à Toronto en 1958, Anne Michaels est poète et romancière. Ses œuvres, traduites en plus de 45 langues, lui ont valu plusieurs distinctions internationales. Malgré son retentissement, sa poésie n’avait pas été traduite en français à ce jour.
Dossier de presse
Le talent de la grande poète torontoise Anne Michaels, dont les recueils ont été traduits en plus de 45 langues, est célébré à travers le monde. Pourtant, aucune de ses œuvres n’avait encore été publiée au Québec. C’est désormais chose faite, avec Tout ce que nous avons vu, qui vient de paraître chez Les Herbes rouges. Avec une douloureuse intensité, Michaels interroge les limites de l’amour et contemple le moment tragique où le désir est tenu de se transformer en deuil. Ses mots toujours justes oscillent entre sobriété et passion pour explorer l’immensité du gouffre qui unit deux êtres qui s’aiment. À découvrir absolument.
Anne -Frédérique Hébert-Dolbec, Châtelaine
Témoigner du regard
Première traduction en français des textes d’Anne Michaels, qui est déjà traduite en 45 langues, Tout ce que nous avons vu est un acte de bonté, une ouverture amène vers le tendre, l’entre-deux monde, dans une tentative de réconciliation.
D’entrée de jeu, convenons que nous nous serions passé de l’usage récurrent de l’anaphore, cette répétition d’un même mot ou d’une même formule en début de vers, dans de trop nombreuses pages. Convenons que nous nous serions également passés d’un ton un tantinet fleur bleue devant l’amour indéfectible. Mais hormis cela, le recueil vaut le détour.
Or, sachant qu’« il y a une certaine solitude inhérente à la forme que prend la poésie », comme l’autrice le dit dans le court essai ajouté en fin de recueil et intitulé Anne Michaels sur l’écriture, nous ne saurions être surpris de trouver dans ces poèmes une sollicitude pour l’autre, une sincère fragilité devant la mort comme devant la vie.« Chaque mot [est] une chimie qui nous astreint / à de singuliers désirs sans fin », et c’est à partir de cette disponibilité que se développent les fugaces paysages de Michaels. Par exemple, le regard de la poète posé ici sur un simple reflet : « les lanternes déversent leur lumière / dans l’eau / et ne s’éteignent plus // chaque lanterne met le feu à la mer / où elle sombre ». C’est souvent beau, et évident. « Entre ton toucher / et mon cri // entre la mer / et le rêve de la mer », ne situe-t-elle pas tel texte en une formulation lumineuse ?
Empreinte d’humanité, cette poésie sait souvent atteindre le cœur même de la peine : « Quelque part une mère réconforte des affligés / par milliers aux funérailles de son fils », « quelque part un homme répare la nuit, un mot à la fois ». De même que le jour de la mort d’un bison, une autre mort captive, c’est « le moment où le désir / devient par force / le deuil // la distance précise / entre ces deux mots ». Le souffle est ainsi ponctué du grand chagrin devant l’éphémère. – Hugues Corriveau, Le Devoir