Alain Bernard Marchand, Les visages de Rembrandt, les éditions du passage, 2025.
La tentation est grande d’envisager les nombreux autoportraits de Rembrandt – il en a peint près d’une centaine – à la lumière des innombrables égoportraits qui circulent aujourd’hui sur la planète. Rembrandt précurseur des selfies ? Ce serait négliger la dimension métaphysique de ses tableaux qui, contrairement aux photos prises par les influenceurs de ce monde, expriment quelque chose d’essentiel par rapport à la condition humaine. Les clairs-obscurs de Rembrandt défient la mort, évoquent une lutte contre le temps, l’absence, et cela Alain Bernard Marchand l’a bien compris lorsqu’au sujet des autoportraits miniatures du peintre néerlandais il s’écarte des descriptions, des ekphrasis, pour développer des réflexions plus philosophiques. « Rembrandt arrache au noir primordial d’avant toute création ses rêves de grandeur », écrit-il, ou encore : « le ténébrisme n’est pas qu’un jeu d’ombres, mais une poussée vers la lumière ».
On lit ces lignes en écho aux poèmes en prose – ou aux proses poétiques ? – qui confirment le constat de Baudelaire formulé dans le Salon de 1846, à savoir que la poésie constitue la meilleure façon de répondre à un tableau, de suggérer l’émotion esthétique qu’il procure. Ces phrases affirmatives, fragmentaires et parfois énigmatiques, ces « fusées », dirait Baudelaire, contiennent des observations qui, au-delà des questions techniques, invitent à voir autrement, pour le meilleur, les toiles dont il s’agit. « Ni ciels ni horizons ne servent de fonds aux portraits que Rembrandt fait de lui-même. Mais ses yeux sortis du cadre embrassent le temps qui me sépare de lui ».
Les pages de gauche, constituées de paragraphes plus longs, se réfèrent à des tableaux identifiés. On aurait aimé que chaque prose soit accompagnée d’une image de l’œuvre, mais on comprend par ailleurs que ces ajouts auraient engendré des complications éditoriales. Je me suis donc amusé à naviguer sur Internet pour retrouver les tableaux qui ont inspiré les poèmes, comme je l’ai fait pour l’Autoportrait avec un chapeau et deux chaînes, peint en 1642.
La lumière, et par conséquent la noirceur, occupe comme on le constate une bonne partie des méditations poétiques de ce recueil dont une des belles qualités consiste à réinstaurer un dialogue entre la poésie et la peinture, un dialogue jadis fécond au Québec – je pense aux parcours de Fernand Ouellette, de Robert Marteau, de Robert Melançon – et qui élevait souvent la littérature d’ici à quelque chose d’universel. Le sujet de ce très beau livre ne correspond sans doute pas à l’horizon d’attente de nos médias avides de confessions croustillantes. C’est notamment ce qui le rend intéressant, original et pertinent.